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Le Barreau du Nouveau-Brunswick et la réglementation du français dans la profession juridique

Texte du professeur Michel Doucet, pour une présentation lors du colloque sur le statut du français dans la réglementation de la profession juridique, Université d'Ottawa, 25 mai 2012. L'auteur tient à remercier son adjoint Philippe Morin qui a accepté de relire le présent texte et de le commenter.

L'auteur prévoit ajouter prochainement quelques notes supplémentaires à cette version de son texte. De m^me, des soulignés et des italiques seront éventuellement ajoutés au texte.

INTRODUCTION

Règle générale, les juristes s'intéressent au statut et au rôle des ordres ou des associations professionnelles seulement lorsque vient le temps de contrôler la légalité de leurs actions. Dans cette présentation, nous allons nous éloigner de cette règle générale et porter notre attention sur les obligations linguistiques de ces organismes et, plus particulièrement, sur celles du Barreau du Nouveau-Brunswick, barreau de la seule province officiellement bilingue au Canada. Dans un premier temps, nous entreprendrons un examen sommaire de la nature et du rôle des ordres professionnelles (1) afin de mieux comprendre leur importance et leur raison d'être. Ensuite, nous discuterons plus spécifiquement des obligations linguistiques du Barreau du Nouveau-Brunswick, qui découlent de la Charte canadienne des droits et libertés (2), de la Loi sur les langues officielles (3) et de la Loi de 1996 sur le Barreau (4).

I. LES ORDRES PROFESSIONNELS

D'un point de vue juridique, l'ordre professionnel au Nouveau-Brunswick peut être défini comme une personne morale, créée par une loi d'intérêt privé (5), auquel doit appartenir tout individu qui veut exercer une profession donnée ou porter un titre particulier et à qui le législateur a confié le pouvoir de contrôler exclusivement l'admission à une profession et l'utilisation du titre associé à cette profession. Ce contrôle exclusif fait en sorte que ces ordres possèdent une grande autonomie dans la gestion d'une profession en plus d'avoir le monopole de l'exercice de celle-ci. Ces ordres professionnels sont également entièrement contrôlés par les membres, c'est-à-dire que ce sont les membres qui élisent la majorité des administrateurs, qui formulent la réglementation, qui s'occupent de la discipline et qui décident d'instituer les poursuites pour violation du monopole de l'exercice de la profession. Puisque le Barreau du Nouveau-Brunswick répond à cette définition, il peut être qualifié d'ordre professionnel.

Le gouvernement accepte de créer de tels organismes pour éviter que le législateur ait besoin de légiférer lui-même sur des questions qui peuvent être complexes, délicates et techniques ou encore qui évoluent trop rapidement pour être figées dans des textes législatifs définitifs ou pour faire l'objet de discussions parlementaires. Par conséquent, il préfère, dans la plupart des cas, confier à un organisme administratif externe le soin de réglementer ses propres activités. L'État confie donc à ces ordres professionnels des pouvoirs qu'il se réserverait normalement.

Par exemple, au Nouveau-Brunswick, le législateur a accepté d'attribuer un tel pouvoir de réglementation de la profession juridique au Barreau en adoptant la Loi sur le Barreau, une loi d'intérêt privé. Les pouvoirs du Barreau s'articulent essentiellement autour de l'administration interne (6), de l'admission à la profession (7), de la formation juridique permanente (8), du droit d'exercer la profession (9) et de la discipline et de la compétence de leurs membres (10). Il est également chargé de vérifier que les personnes qui exercent cette profession sont qualifiées et qu'elles répondent aux standards de compétence exigés pour la pratique de la profession d'avocat. Le Barreau du Nouveau-Brunswick possède donc des pouvoirs importants pour réglementer sa gestion interne et l'exercice de la profession juridique.

Bien que le législateur ait accepté de déléguer au Barreau d'importants pouvoirs, il a voulu aussi se réserver un certain contrôle sur cette profession. La Loi sur la Barreau prévoit, par exemple, que :

- le lieutenant-gouverneur en conseil ou un ministre peut nommer un ou plusieurs membres du conseil d'administration (11); et que
- certains règlements du Barreau doivent être approuvés par le lieutenant-gouverneur en conseil (12).

Un auteur décrivait, avec beaucoup de justesse, les ordres professionnels comme des « self-governments » (13). En tant qu'organismes exerçant d'importants pouvoirs de réglementation, de contrôle, d'administration et de discipline, ils peuvent également être considérés comme des « pouvoirs publics ». Nous pouvons même ajouter qu'ils font partie des mécanismes administratifs de l'État et représentent ainsi beaucoup plus qu'une simple association d'individus. Ils jouent somme toute le rôle d'administration décentralisée.

En créant des ordres professionnels, le législateur vise essentiellement deux objectifs légitimes :
- protéger le client qui entre en relation avec un membre de cette profession; et
- protéger le public en général.

En effet, le public peut être directement touché par les services rendus par les membres de ces ordres. En matière de services juridiques, le public fait partie d'une vaste clientèle dont les besoins relatifs à la nature et au degré de sophistication de ces services varient grandement d'une personne à l'autre. En plus du public, d'autres personnes peuvent également être touchées par les activités de ces ordres. Elles incluent, entre autres, les membres de la profession, les travailleurs œuvrant dans des domaines connexes, les membres d'une profession dont le champ d'activités est étroitement relié à celle des membres de l'ordre, les aspirants à la profession et les institutions d'enseignement qui forment les membres. Il ne fait donc aucun doute que les activités et les décisions d'un ordre professionnel, tel le Barreau, vont bien au-delà des simples intérêts des membres et touchent plusieurs membres de la société, voire l'ensemble de la société.

Nous pouvons donc en déduire que le Barreau, à titre d'ordre professionnel, a été établi pour des motifs d'intérêt public (14). Il y a quelques années, la Commission royale d'enquête sur les droits civils de la province de l'Ontario – la Commission McRuer – considérait l'intérêt public comme étant la seule raison légitimant une délégation de pouvoirs aussi vaste aux ordres professionnels :

The granting of self-government is a delegation of legislative and judicial functions and can only be justified as a safeguard to the public interest. The power is not conferred to give or reinforce a professional or occupational status. The relevant question is not "do the practitioners of this occupation desire the power of self-government?" but "is self-government necessary for the protection of the public?"…no right of self-government should be claimed merely because the term "profession" has been attached to the occupation. The power of self-government should not be extended beyond the present limitations, unless it is clearly established that the public interest demands it [nous soulignons] (15).

Un peu plus loin, la Commission McRuer précisait :

The traditional justification for giving power of self-regulation to any body is that the members of the body are best qualified to ensure that proper standards of competence and ethics are set and maintained. There is a clear public interest in the creation of observance of such standards. This public interest may have been well served by the respective bodies which have brought to their task an awareness of their responsibility to the public they serve, but there is a real risk that the power may be exercised in the interests of the profession or occupation rather than in that of the public. This risk requires adequate safeguards to ensure that injury to the public interest does not arise [nous soulignons] (16).

Une autre caractéristique des ordres professionnels néo-brunswickois est qu'ils ont tous été créés par une loi d'intérêt privé. La caractéristique essentielle de la loi d'intérêt privé est qu'elle n'impose pas de normes générales. Le projet de loi d'intérêt privé a donc pour objet l'intérêt ou l'avantage particulier d'un individu ou d'un certain nombre d'individus ou d'une corporation privée ou publique contrairement au projet de loi d'intérêt public qui lui a pour objet une matière ou une mesure intéressant la société en générale.

Si ces lois d'intérêt privé ont réglé les questions d'administration interne des ordres professionnels, elles ont également, dans une large mesure, réglementé les rapports de ces ordres avec la société en général. Or, force nous est donc de constater que bien que la loi créant le Barreau du Nouveau-Brunswick soit une loi d'intérêt privé, elle contient en elle le germe d'une loi d'intérêt public puisqu'elle met en cause l'intérêt général.

II. LE BARREAU DU NOUVEAU-BRUNSWICK ET LES DROITS LINGUISTIQUES


La mise en œuvre du bilinguisme dans le système judiciaire du Nouveau-Brunswick n'a pas été une chose facile et est également relativement récente. Bien que la Loi sur les langues officielles de 1969 (17) reconnaissait le droit pour les justiciables francophones d'utiliser leur langue dans les procédures judiciaires , cette disposition sur le bilinguisme judiciaire (18) ne sera promulguée, en fait, qu'en 1972.

Il faudra toutefois attendre plus longtemps, vers le début des années 1980 avec la création de la Faculté de droit de l'Université de Moncton, pour que le Barreau du Nouveau-Brunswick manifeste un intérêt pour la question de l'intégration des deux langues officielles à la pratique du droit. Le comité qui sera chargé d'étudier cette question sera formé à la suite d'une demande formulée par des membres francophones du Barreau. Le mandat du comité est d'étudier et de proposer des solutions aux problèmes posés par l'intégration des langues officielles dans la pratique du droit. Plus spécifiquement, ce mandat consiste à identifier les problèmes inhérents à la pratique du droit en français au Nouveau-Brunswick et à suggérer les outils nécessaires pour atteindre une plus grande intégration du français dans le domaine juridique et judiciaire. Le comité devait également conseiller le Barreau sur les moyens à prendre pour réaliser cet objectif. Le comité sera présidé par Me John Barry, avocat anglophone de Saint-Jean, et Me Michel Bastarache, alors doyen de la Faculté de droit de l'Université de Moncton. Ils déposeront leur rapport au mois de septembre 1981 (19).

Le rapport final du Comité invitera, entre autres, le Barreau et les autorités provinciales à redéfinir le bilinguisme institutionnel tel qu'appliqué au domaine judiciaire et à favoriser concrètement l'égalité des langues officielles. Dans la description de la situation qui prévaut à l'époque, le Comité en arrive à la conclusion que le système judiciaire est presque exclusivement anglophone et qu'il n'assure qu'un minimum d'accessibilité aux services juridiques en langue française. Afin de corriger cette situation, le comité proposera une approche fondée sur l'égalité de statut des deux langues officielles. Il ira même jusqu'à proposer que tous les étudiants admis au Barreau à partir de 1988 subissent un test de compétence linguistique dans les deux langues officielles. Cette recommandation demeurera cependant lettre morte (20).

a) La Charte canadienne des droits et libertés, la Loi sur les langues officielles et le Barreau

Comme nous l'avons mentionné ci-dessus, le Barreau contrôle l'admission et les conditions d'exercice de la profession d'avocat. En ce sens, il exerce, par rapport à cette profession, les pouvoirs que la province lui a accordé et il fait donc partie, de fait, de la sphère publique. À cet égard, des questions linguistiques peuvent se poser par rapport au Barreau à divers niveaux :

- dans sa régie interne;
- dans l'admission des membres et dans les rapports qu'il entretien avec eux;
- dans ses interactions avec le public; et
- dans les mesures disciplinaires qu'il peut imposer à ses membres.

Nous soutenons que dans chacune de ces activités, le Barreau a des obligations sur le plan linguistique, obligations qui découlent à la fois de la Charte et de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick.


(i) Le Barreau est-il une « institution » au sens de la Charte?

En ce qui concerne la Charte, la première question qui vient immédiatement à l'esprit est celle de savoir si le Barreau est une « institution » de la Législature ou du gouvernement aux termes de l'article 32. En effet, selon cette disposition, la Charte s'applique « au Parlement et au gouvernement du Canada » et « à la législature et au gouvernement de chaque province ». Il est donc clair que les deux paliers de gouvernement sont liés par les dispositions de la Charte, mais qu'en est-il d'un organisme comme le Barreau?

La jurisprudence traitant de la question a clairement établi que tout organisme exerçant un pouvoir légal est lié par la Charte. Dans cette catégorie nous pouvons inclure le gouverneur-général ou le lieutenant-gouverneur en conseil, les ministres, les fonctionnaires, les municipalités, les tribunaux et les agents de police. Étant donné qu'il est interdit au Parlement ou à une législature d'adopter une loi contraire à la Charte, ni l'un ni l'autre de ces organismes ne peut également autoriser des actes qui entraîneraient une violation de la Charte. Ainsi, les restrictions que la Charte impose relativement à l'exercice des pouvoirs législatifs s'appliquent également aux règlements, aux arrêtés, aux ordonnances, aux décisions et aux autres mesures prises par ces organismes.

Il ressort de la jurisprudence que la Charte s'applique à une entité pour l'une ou l'autre des raisons suivantes :
1. L'entité fait partie du « gouvernement » au sens de l'article 32, soit de par sa nature même, soit à cause du degré de contrôle exercé par le gouvernement. En pareil cas, toutes les activités de l'entité sont assujetties à la Charte.
2. Une activité particulière d'une entité peut être sujette à révision en vertu de la Charte si cette activité peut être attribuée au gouvernement. Il convient alors d'examiner non pas la nature de l'entité dont l'activité est contestée, mais plutôt la nature de l'activité elle-même (21).

Ce sont donc ces critères que nous devons appliquer pour déterminer si un organisme est soumis aux obligations de la Charte ou non. Notons cependant que dans la décision Andrews c. Law Society of British Columbia (22), la Cour suprême du Canada a appliqué la Charte afin d'annuler une condition d'admission au barreau prise par la Law Society of British Columbia. Il n'a aucunement été question dans cette décision de l'article 32 de la Charte. La Cour suprême semblait conclure, de facto, que le Barreau est une entité du gouvernement au sens du paragraphe 32(1).

De même, dans la décision, Klein and Dvorak c. Law Society of Upper Canada (23), la Cour Divisionnaire de l'Ontario a conclu que la Société du barreau du Haut-Canada était une entité créée par la loi qui exerce ses attributions dans l'intérêt public. Selon la cour, en adoptant des règles relatives à la publicité des avocats ou aux relations entre ces derniers et les médias, la Société du barreau exerce une fonction de réglementation pour le compte de la « législature » et du « gouvernement » au sens du paragraphe 32(1). La Cour ajoute que même si les règles et les observations contenues dans le code de déontologie n'ont pas été adoptées par règlement, cela ne les empêche pas pour autant d'être assujetties aux dispositions de la Charte. Du fait que la Société du Barreau veille par le biais de sa procédure disciplinaire au respect des dispositions qui interdisent aux avocats de faire de la publicité relativement à leurs honoraires et de faire des déclarations aux médias, cela a pour effet d'intégrer ces dispositions au droit de l'Ontario et de les assujettir ainsi à la Charte.

Il n'y a, selon nous, aucune particularité dans le droit du Nouveau-Brunswick qui justifie que cette même logique ne s'applique pas dans le cas du Barreau. Dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par sa loi habilitante, le Barreau exerce une fonction de réglementation pour le compte de la « législature » et du « gouvernement » au sens du paragraphe 32(1) de la Charte. Sa procédure disciplinaire lui confère également un pouvoir coercitif et de contrainte propre à l'action gouvernementale.

Ceci étant dit, nous pouvons nous demander si les articles 16 et 20 de la Charte ont la même portée que l'article 32 ou s'ils doivent être abordés différemment. Il est important de se rappeler que les articles 16 et 20 et l'article 32 n'ont pas les mêmes objets. L'article 32 vise à soumettre la Couronne, les organismes gouvernementaux ainsi que toutes organisations accomplissant une mission ayant un caractère gouvernemental au régime défini par la Charte. Les articles 16 et 20, en revanche, entendent préciser les organismes qui sont tenus au bilinguisme officiel. Nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire pour atteindre l'objet de ces dispositions de démontrer que ces organismes sont également liés aux autres dispositions de la Charte, bien que cela puisse aller de soi. Il se peut, par exemple, qu'un tiers, qui autrement ne serait pas lié par les autres dispositions de la Charte, serait tenu de respecter les dispositions linguistiques de celle-ci lorsqu'il agit pour le compte du gouvernement ou pour le compte d'une institution du gouvernement.

Nous convenons cependant que pour décider si une institution précise est une « institution » au sens des articles 16 et 20, il faut de tenir compte de critères analogues à ceux que nous venons d'évoquer pour l'article 32. Le premier critère à retenir est certainement celui du lien organique avec l'État. Plus la distance est grande entre l'entité en question et la structure étatique, plus il est difficile de considérer l'entité comme une institution de l'Assemblée législative ou du gouvernement. Il faut en second lieu tenir compte de la source juridique des pouvoirs exercés par l'entité. S'agissant d'une entité constituée en vertu d'une loi publique ou privée, les pouvoirs qui lui sont conférés ont leur origine dans le texte de la loi habilitante et il est fort probable que cet organisme soit visé par les articles 16 et 20.

Selon nous, bien que le Barreau ne fasse pas directement partie de la structure gouvernementale provinciale, le lien qu'il entretient avec celle-ci de par les pouvoirs qui lui sont conférés par sa loi habilitante en fait une « institution » qui aux fins des articles 16 et 20 peut être considérée comme étant de « l'Assemblée législative ou du gouvernement ».

D'ailleurs, la décision de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick dans l'arrêt Charlebois c. Mowatt et la ville de Moncton (24) confirme cette conclusion. Nous nous souviendrons que dans cette affaire, la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick s'était penchée sur le sens qu'il fallait donner à l'expression « institutions de la législature ou du gouvernement » utilisée aux paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte (25). Selon la Cour d'appel, il est clair que ces dispositions prévoient explicitement la possibilité que des entités ou des institutions, autres que la législature ou le gouvernement et qui émanent elles-mêmes des « domaines relevant de cette législature », soient assujetties à la Charte. Ainsi, les municipalités de la province ont été identifiées comme étant de telles « institutions » puisqu'elles sont créées par une loi de la province et exercent les pouvoirs qui leur sont conférés par cette loi.

La question du champ d'application de la Charte a également été examinée afin d'interpréter l'expression « institutions de la législature ou du gouvernement » utilisée au paragraphe 20(2) de la Charte. Dans chaque cas, il s'agissait de savoir si les corps policiers étaient des institutions de la province. Dans R. c. Haché (E.) (26), deux juges de la Cour d'appel, les juges Ayles et Angers, ont répondu à cette question dans l'affirmative. Dans R. c. Gautreau (27), le juge en chef Richard, de la Cour du Banc de la Reine, a conclu que le service de police de la province est une institution au sens des paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte. Il s'est appuyé pour en arriver à cette conclusion sur un passage d'un article des auteurs Foucher et Snow dans lequel ceux-ci proposaient une approche et des critères pour déterminer si une entité quelconque est une institution de la législature ou du gouvernement au sens du paragraphe 16(2). Parmi ces critères, ils retiennent que l'entité doit être « une créature de l'État et [devoir] son existence même à une loi publique », mais « que le facteur prépondérant demeure la source juridique de ses pouvoirs » (28).

Pouvons-nous utiliser la même logique pour conclure que le Barreau est une « institution du gouvernement et de l'Assemblée législative » au sens des paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte? Il est vrai que le Barreau a été créé par une loi « privée » et non une loi « publique », comme c'est le cas pour les municipalités, bien que cette loi « privée » ait également été adoptée par l'Assemblée législative. Cependant, que la loi habilitante soit publique ou privée n'a aucune importance. Étant donné la nature de la loi qui a créé le Barreau, la distinction entre son caractère « privé » et « public » n'a d'intérêt que sur la procédure qui a mené à son adoption (29). La Loi sur le Barreau est, de part sa portée, autant d'intérêt général que toutes autres lois de caractère public et de tels pouvoirs n'ont pu être accordés à une entité privé qu'en raison du besoin de protéger l'intérêt public.

En conséquence, nous sommes d'avis que même si le Barreau tire ses pouvoirs d'une loi d'intérêt privé, la nature de ses activités l'associe davantage au pouvoir public et en fait donc une partie de la structure étatique des « institutions du gouvernement et de l'Assemblée législative » au sens de la Charte. Par conséquent, le Barreau est soumis aux obligations prévues aux articles 16 à 20 de la Charte; il est ainsi constitutionnellement tenu, entre autres, de communiquer et d'offrir des services au public dans la langue officielle choisie par celui-ci.

(ii) Le Barreau est-il soumis aux obligations prévues dans la Loi sur les langues officielles?

En plus des obligations prévues dans la Charte, le Barreau est-il soumis aux obligations prévues dans la Loi? La Loi ne prévoit rien de spécifique en ce qui concerne les ordres professionnels. En conséquence, pour répondre à la question, nous allons devoir porter notre attention à la définition quelle donne à l'expression « institution »:

« institution » désigne les institutions de l'Assemblée législative et du gouvernement du Nouveau-Brunswick, les tribunaux, tout organisme, bureau, commission, conseil, office ou autre créés afin d'exercer des fonctions de l'État sous le régime d'une loi provinciale ou en vertu des attributions du lieutenant gouverneur en conseil, les ministères, les Sociétés de la Couronne créées sous le régime d'une loi provinciale et tout autre organisme désigné à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Nouveau-Brunswick ou placé sous le contrôle du lieutenant-gouverneur en conseil ou d'un ministre provincial.

À la suite de notre analyse concernant les dispositions de la Charte, il serait facile de conclure que puisque le Barreau est une « institution » au sens des paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte, qu'il est également une « institution » au sens de la Loi. Toutefois, avant de tirer cette conclusion, nous devons porter notre attention sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Charlebois c. Saint John (Ville) (30).

Dans cette décision, une décision partagée (5 contre 4), la Cour suprême du Canada était appelée à interpréter le terme « institution » contenu à l'article 22 de la Loi. Elle devait décider si ce terme comprenait les municipalités de la province. Dans Charlebois N° 1, la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick avait conclu que les municipalités étaient des « institutions » de la province au sens des dispositions de la Charte et qu'elles devaient donc se conformer aux obligations linguistiques contenues dans celle-ci.

Dans son jugement majoritaire dans Charlebois N° 2, la Cour suprême du Canada, tout en s'appuyant sur les principes énoncés dans l'arrêt Beaulac (31), voulant que dans tous les cas une interprétation libérale et téléologique des garanties linguistiques constitutionnelles et des droits linguistiques d'origine législative s'impose, ajoute que cela ne signifie pas cependant que les règles ordinaires d'interprétation législative n'ont pas leur place (32). Dans Charlebois No 2, la question principale en litige était l'utilisation qui pouvait être faite des valeurs de la Charte comme outil pour interpréter les dispositions d'une loi relative aux droits linguistiques à caractère quasi-constitutionnel. Nous nous rappellerons que dans l'arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex (33), la Cour suprême du Canada avait précisé les limites de cette approche. Elle avait, entre autres, rappelé que :

[d]ans la mesure où notre Cour a reconnu un principe d'interprétation fondé sur le respect des « valeurs de la Charte », ce principe ne s'applique uniquement qu'en cas d'ambiguïté véritable, c'est-à-dire lorsqu'une disposition législative se prête à des interprétations divergentes, mais par ailleurs tout aussi plausibles l'une que l'autre (34).

Dans Charlebois N° 2, la Cour ajoutera :

Dans le contexte de la présente affaire, le recours à cet outil [le respect des « valeurs de la Charte »] illustre bien comment son utilisation abusive peut effectivement court-circuiter l'examen judiciaire de la constitutionnalité de la disposition législative. Elle risque de fausser l'intention du législateur et de le priver de la possibilité de justifier une éventuelle atteinte aux droits garantis par la Charte comme étant une limite raisonnable au sens de l'article premier. À cet égard, le juge Daigle [de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick] s'est fondé sur les bonnes règles de droit et a conclu à juste titre, au para. 58, que l'analyse contextuelle et téléologique de la LOI « a dissipé toute ambiguïté quant au sens de l'expression "institution" ». En l'absence de toute autre ambiguïté, les valeurs de la Charte n'ont aucun rôle à jouer (35).

La majorité dans Charlebois No 2 choisira donc de suivre l'approche proposée dans BellExpressVu et n'acceptera pas que les valeurs de la Charte puissent éclairer le sens à donner à l'expression « institution » que nous retrouvons à l'article 22 de la Loi. Or, bien que les municipalités puissent être des « institutions » au sens de la Charte, cela ne veut en rien dire qu'elles sont également des « institutions » au sens de la Loi.

À la lumière de cette décision, nous pouvons nous demander si l'approche interprétative de la Cour suprême du Canada pourrait avoir un impact sur la réponse qui pourrait être donnée à la question à savoir si le Barreau est une « institution » au sens de la Loi? Nous sommes d'avis que la réponse à cette question devrait être négative. Nous sommes convaincus que le Barreau est une « institution » au sens de la Loi puisqu'il est un « organisme […] créé afin d'exercer des fonctions de l'État sous le régime d'une loi provinciale » (36).

Il serait peut-être également possible d'invoquer l'article 30 (37) de la Loi et d'associer le Barreau à un tiers qui offre des services pour le compte de la province. Puisque le gouvernement a décidé de donner aux ordres professionnels les pouvoirs qu'il aurait pu autrement exercer lui-même, il doit s'assurer que ceux-ci seront en mesure de les respecter en tout temps.

Finalement, la situation la plus simple serait d'apporter une modification à la Loi pour spécifier expressément les obligations linguistiques des ordres professionnels. La Loi pourrait prévoir, entre autres, que les services et les communications avec le public ou les membres des ordres professionnels, ainsi que les examens, cours ou programmes relatifs à la permission d'exercer une profession, de même que les enquêtes relatives aux plaintes portant sur la conduite d'un membre d'une association professionnelle doivent être offerts, donnés, produits et tenus dans la langue officielle choisie par le membre ou le candidat et que nul ne doit être défavorisé en raison de ce choix.

(iii) Les obligations linguistiques dans la Loi sur le Barreau

L'article 4 de la Loi sur le Barreau prévoit :
4(1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Barreau.

4(2) Les services sont offerts aux membres et au public dans les deux langues officielles.

4(3) Les membres et le public peuvent utiliser l'une ou l'autre ou les deux langues officielles aux assemblées du Barreau ainsi qu'aux réunions du Conseil et de tout comité.

L'article 4 confirme donc que le Barreau est une institution bilingue. Le public et les membres du Barreau ont donc le droit de recevoir les services offerts par celui-ci dans la langue officielle de leur choix. Toutefois, bien que cela puisse idéalement être souhaitable comme l'avait suggéré le rapport Barry/Bastarache, l'article n'exige pas que les membres du Barreau soient eux-mêmes bilingues lorsqu'ils offrent des services juridiques. Bien qu'en principe, le Barreau devrait favoriser le bilinguisme chez ses membres qui doivent donner des avis juridiques portant sur l'interprétation de lois adoptées dans les deux langues officielles et dont les deux versions ont égales force de loi, il n'existe aucune initiative en ce sens. Nous constatons toutefois que le Code de déontologie du Barreau du Nouveau-Brunswick, adopté en 2003, impose certaines obligations aux avocats et aux avocates en ce qui concerne les droits linguistiques.

Ainsi au chapitre 3, sous l'entête, La qualité des services, le commentaire suivant a été inséré :

Lorsque approprié, l'avocat doit aviser le client du droit du client de procéder dans le langue de son choix et du fait que les deux langues officielles de la province ont un statut égal dans le système judiciaire de la province. Le choix de la langue des procédures doit être la décision ultime du client et non celle de l'avocat. Une fois que le choix est fait, l'avocat ne doit poursuivre l'affaire à moins de se sentir honnêtement capable de procéder dans cette langue officielle.

Au chapitre 4, sous l'entête, La consultation, le commentaire suivant a été inséré :

Lorsque applicable, l'avocat ou l'avocate doit aviser son client des droits suivants :

a) le paragraphe 19(1) de la Charte canadienne des droits et libertés relativement au droit d'usage de l'anglais ou du français dans tous les tribunaux constitué par le Parlement;
b) le paragraphe 19(2) de la Charte canadienne des droits et libertés relativement au droit d'usage de l'anglais ou du français dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Nouveau-Brunswick et dans tous les actes de procédure qui en découlent;
c) l'article 530 du Code criminel relativement aux droits de l'accusé d'être jugé dans l'une ou l'autre des deux langues officielles de son choix et d'être entendu et compris par le tribunal dans la langue officielle de l'accusé;
d) l'article 20.2 de la Loi sur les assurances qui dispose que l'assuré a le droit d'être représenté par un avocat qui est compétent dans la langue officielle du choix de l'assuré;
e) l'article 17 de la Loi sur les langues officielles qui dispose que toute personne qui comparaît ou qui témoigne a le droit d'être entendue dans la langue officielle de son choix sans subir de désavantage en raison de son choix (art. 18) ;
f) le paragraphe 20(1) de la Loi sur les langues officielles qui dispose que toute personne accusée d'une infraction provinciale ou municipale a le droit de subir un procès dans la langue officielle de son choix;
g) l'article 19 de la Loi sur les langues officielles qui dispose que toute personne qui est une partie à une procédure judiciaire devant tout tribunal judiciaires, quasi-judiciaire ou administratif a le droit de se faire entendre dans la langue officielle de son choix par un tribunal qui comprend, sans la nécessité de traduction.

Il n'existe cependant aucune définition des expressions « lorsque approprié » au chapitre 3, ni de « lorsque applicable » au chapitre 4. De plus, il nous est impossible de confirmer si ces obligations déontologiques sont suivies par les avocats et les avocates membres du Barreau. Ces obligations demandent que les avocats et les avocates aient une assez bonne connaissance des dispositions linguistiques, ce qui ne semble pas, à notre avis, être le cas. À notre connaissance, les cours de formation du Barreau n'offrent aucun module où les droits linguistiques sont abordés. En ce qui concerne les facultés de droit de l'Université de Moncton et de l'Université du Nouveau-Brunswick, la première offre un cours portant sur les droits linguistiques, bien qu'il ne soit pas obligatoire, alors qu'un tel cours n'existe pas chez la deuxième. Ainsi, la grande majorité des futurs avocats, qu'ils soient francophones ou anglophones, ne possèdent aucune connaissance, soit une connaissance minimale de ces droits. La tendance est souvent de considérer ces droits comme des droits de nature politique ou comme une sous-catégorie des droits fondamentaux (38). La logique de la trilogie de 1986 (39) semble malheureusement toujours prévaloir au sein de la profession juridique et même au sein des deux facultés de droit du Nouveau-Brunswick, y compris dans celle de l'Université de Moncton.

En ce qui a trait à la structure du Barreau, le législateur a prévu, de façon générale, la création d'un conseil d'administration chargé des affaires internes (40). Il n'existe toutefois aucune disposition qui assure, au sein du conseil, une représentation fondée sur des critères linguistiques. Il est vrai cependant que la Loi prévoit une représentation de la Faculté de droit de l'Université de Moncton, par l'entremise de son doyen ou de sa doyenne (41). De plus, notons que la traduction simultanée est offerte lors des réunions du conseil et lors de l'assemblée annuelle du Barreau, bien que cela ne soit pas expressément prévu dans la Loi sur le Barreau.

En ce qui a trait aux modalités d'examen et de stage, le Barreau est responsable de l'établissement de celles qu'ils considèrent nécessaires pour l'admission à la profession. Ainsi, l'alinéa 16(2)n) de la Loi sur le Barreau prévoit à ce titre ce qui suit :
établir, administrer, maintenir et offrir un programme de formation juridique, et en particulier :
(i) fixer les niveaux de formation requis pour l'inscription à titre de stagiaire et l'admission au Barreau,
(ii) offrir un cours de préparation au barreau,
(iii) offrir un service de formation juridique permanente,
(iv) établir un programme obligatoire de formation juridique permanente et exiger des membres que, sauf dérogation écrite du directeur général accordée en conformité avec les règles, ils suivent et réussissent un programme d'études agréés par le Conseil pour avoir le droit d'exercer […].

Les cours d'admission au Barreau et les cours de formations juridiques permanents sont offerts dans les deux langues officielles. Toutefois, en ce qui concerne les cours d'admission au Barreau, il existerait, selon certain, une inégalité dans la qualité des examens entre les versions anglaises, qui sont souvent les versions originales, et les versions françaises, qui sont habituellement des traductions. Pour ce qui est des cours de formations juridiques, certains se sont également plaint du nombre assez limité de cours offerts en français (42).

En ce qui a trait aux modalités d'examen pour ceux et celles qui veulent adhérer à la profession d'avocat et en ce qui a trait aux programmes de perfectionnement professionnel permanent que doivent suivre les membres, le Barreau a, à notre avis, l'obligation constitutionnelle d'offrir des programmes et des examens de qualité équivalente dans les deux langues officielles. Nous tirons cette conclusion, entre autres, de notre analyse du paragraphe 16.1(1) de la Charte qui énonce :

La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d'enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.

Selon nous, l'expression « institutions d'enseignement » est suffisamment large pour englober ces programmes de formation offerts par le Barreau. Toutes autres interprétations seraient, à notre avis, contraires aux principes qui doivent guider l'interprétation des droits linguistiques, car en exigeant ces programmes de formation, le Barreau joue, en quelque sorte, le rôle d'institution d'enseignement. En conséquence, il se doit d'être en mesure d'offrir des programmes de formation dans les deux langues officielles. Ces programmes doivent, par ailleurs, être de grande qualité dans l'une ou l'autre de ces langues, ce qui veut dire que les programmes offerts en français ne doivent pas être une simple traduction de ceux offerts en anglais.

Le Barreau exerce aussi d'importants pouvoirs tels que l'élaboration des règles de déontologie et l'application des peines disciplinaires qui peuvent aller de la simple réprimande à l'expulsion définitive. Ces sanctions disciplinaires ne sont pas appliquées par des cours ordinaires, mais plutôt par un comité chargé d'entendre les plaintes dont la création est prévue par la Loi sur le Barreau (43). Ainsi, pour des raisons d'efficacité, l'adjudication de ces questions, qui relèvent normalement du droit commun, a été confiée au Barreau lui-même. Non seulement le membre, mais aussi le citoyen qui se plaint de la qualité des services reçus ou d'inconduite de la part d'un avocat, dépendent du jugement d'un comité créé par le Barreau pour corriger la situation. Il s'agit donc d'une forme de justice administrative officielle. Elle est, en fin de compte, obligatoire pour les intéressés et elle peut avoir des conséquences extrêmement graves pour le professionnel soumis à son processus. Le Barreau, de par les fonctions de ses comités des plaintes (44) et des compétences (45), fait donc partie des structures quasi-judiciaires de la province. Le comité disciplinaire du Barreau est, à toute fin pratique, un tribunal administratif. Le fait qu'il peut être fait appel à la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick d'une décision prise par le comité des plaintes ne fait qu'ajouter du poids à cette conclusion (46). Or, rien dans la Partie 10, de la Loi sur le Barreau ne traite de la question de l'utilisation du français et de l'anglais. Cela n'est peut-être pas nécessaire puisque, à notre avis, le Barreau est dans ce cas soumis aux obligations décrites dans la Loi sur les langues officielles, qui définit un « tribunal » comme suit :

« tribunaux » désigne les cours et les tribunaux administratifs dans la province (47).

Or, le Barreau, lorsqu'il applique une peine disciplinaire, agit en tant que tribunal administratif qui exerce des pouvoirs judiciaires ou quasi-judiciaires et tombe donc sous la définition d'un « tribunal » au sens de la Loi sur les langues officielles. La Loi sur les langues officielles prévoit que le français et l'anglais sont les langues officielles des tribunaux du Nouveau-Brunswick (48). Ainsi, tous ont le droit d'employer la langue officielle de leur choix dans les affaires dont est saisi le comité disciplinaire du Barreau, y compris dans les procédures, les plaidoiries et les actes de procédure qui en découlent (49). Ainsi, le registraire des plaintes qui est chargé sous la Loi sur le Barreau de faire le suivi des plaintes reçues (50), se doit de procéder dans la langue officielle choisi par le plaignant. De plus, nul ne pourra être défavorisé en raison de son choix de langue (51).

La Loi sur les langues officielles impose également aux personnes qui siègent au comité des plaintes et au comité des compétences de comprendre, sans l'aide d'un interprète ou de toute technique de traduction simultanée ou d'interprétation consécutive, la langue officielle choisie par les parties (52).

Conclusion

À la suite de l'analyse qui précède, nous n'avons aucune hésitation à conclure que le Barreau est, pour les fins de la Charte et de la Loi, une « institution » de l'Assemblée législative et du gouvernement du Nouveau-Brunswick et qu'il doit donc respecter les obligations linguistiques prévues dans celles-ci. Nous concluons également qu'en raison de ses exigences de formation, qu'il peut également être assimilé, pour ces fins, à une « institution d'enseignement » au sens de l'article 16.1 et qu'il a, en conséquence, l'obligation constitutionnelle d'offrir des programmes de formation de grande qualité dans les deux langues officielles et que ces programmes doivent, le cas échéant, répondre aux besoins particuliers de chaque communauté linguistique officielle.

Bien qu'il puisse exister certaines ambiguïtés entourant la définition de l'expression « institution » dans la Loi sur les langues officielles en raison de la décision dans Charlebois N° 2¸ nous n'hésitons pas à conclure qu'en raison de son lien symbiotique avec le gouvernement provincial et le rôle public qu'il est appelé à remplir, le Barreau est une « institution » au sens de cette loi et qu'il lui incombe donc de respecter les obligations qui y sont prévues. Toutefois, afin de dissiper tout doute, le législateur devrait, soit dans la Loi sur le Barreau, soit dans la Loi sur les langues officielles apporter les modifications nécessaires afin qu'elles reflètent la réalité!
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(1) Aux fins de cette présentation, nous utiliserons l'expression « ordres professionnels » pour désigner les organisations qui visent à régir l'exercice de certaines professions.

(2) Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 constituant l'Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.) 1982.

(3) LN-B 2002, c O-0.5 [Loi sur les langues officielles].

(4) LN-B 1996, chapitre 89, telle que modifiée par la Loi modifiant la Loi concernant le Barreau du Nouveau-Brunswick, LN-B 2009 [« Loi sur le Barreau »].

(5) En vertu du Règlement de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick (voir Journaux de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, 1986, p. 216-219, 223), nous pouvons faire une distinction entre les projets de lois d'intérêt public, d'initiative ministérielle et d'intérêt privé :
- le projet de loi d'intérêt public désigne un projet de loi concernant des questions d'intérêt public déposé directement par un député;
- le projet de loi d'initiative ministérielle est un projet de loi d'intérêt public présenté par un ministre de la Couronne;
- le projet de loi d'intérêt privé est celui qui se rapporte à des questions locales ou d'intérêt privé ou qui sont en faveur ou dans l'intérêt particulier d'une personne, d'un ordre ou d'une municipalité.

(6) Loi sur le Barreau, supra note 4, art 16 et 17.

(7) Ibid, Partie VII et VIII.

(8) Ibid, art 31.

(9) Ibid, Partie IX.

(10) Ibid, Partie X.

(11) Ibid, alinéas 6b) et d) et article 12.

(12) Ibid au para 17(8).

(13) Voir J.K. Lieberman, « Some Reflections on Self-Regulation » dans The Professions and Public Policy, Toronto, University of Toronto Press 1976, à la p 89.

(14) Le préambule de la Loi sur le Barreau prévoit :
ET CONSIDÉRANT qu'il est dans l'intérêt aussi bien du public que de la profession juridique que le Barreau du Nouveau-Brunswick soit prorogé comme personne morale en vue de promouvoir et de maintenir la qualité des services juridiques dans la province ainsi que d'administrer et de réglementer la profession; [nous soulignons].

(15) Royal Commission, Inquiry into Civil Rights, (Commission McRuer), 1968, Report no. 1, vol 3 à la p 1162 [Inquiry into Civil Rights].

(16) Ibid à la p 1166.

(17) Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, LRN-B 1973, c O-1.

(18) Le paragraphe 14(1) de cette Loi prévoyait : « Sous réserve de l'article 15, dans toutes les procédures devant un tribunal, toute personne qui comparaît ou témoigne peut être entendue dans la langue officielle de son choix et ne doit être, en fait, nullement défavorisée en raison de ce choix ».

(19) Association des avocats du Nouveau-Brunswick, Comité sur l'intégration des deux langues officielles à la pratique du droit, Rapport final, sept. 1981 [Rapport Barry/Bastarache].

(20) Pourtant, cette recommandation nous apparaît comme essentielle dans un ressort où les deux versions des textes législatifs ont égale autorité. Comment un avocat unilingue ou un juge unilingue peut-il dans ce contexte bien interpréter la loi?

(21) McKinney c Université de Guelph, [1990] 3 RCS 229 ; Stoffman c Vancouver General Hospital, [1990] 3 RCS 483 ; Eldridge c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 624 ; et Greater Vancouver Transportation Authority c Fédération canadienne des étudiantes et étudiants – Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295.

(22) [1989] 1 RCS 143.

(23) (1985), 16 DLR (4th) 489.

(24) [2001] AN-B 480 (CAN-B) [Charlebois N° 1].

(25) Les paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte prévoient respectivement :
16 (2) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick.
20 (2) Le public a, au Nouveau-Brunswick, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services.

(26) (1993), 139 RN-B (2e) 81.

(27) (1990), 101 RN-B (2e) 1, portée en appel sur la question de l'interprétation du paragraphe 24(1) de la Charte, voir (1990), 109 RN-B (2d) 54 (CA), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée, [1991] 3 RCS viii.

(28) Foucher et Snow, « Le régime juridique des langues dans l'administration publique au Nouveau-Brunswick » (1983) 24 C de D 81.

(29) C'est-à-dire qu'elle ne tire pas son origine d'une initiative ministérielle.

(30) 2005 CSC 74, [2005] 3 RCS 563 [« Charlebois N° 2 »]. Voir aussi Michel Doucet et Mark Power, « Charlebois c. Saint John (Ville) : phare d'une régression en matière de droits linguistiques ? » (2006) 8 RCLF 383.

(31) R c Beaulac, [1999] 1 RCS 768.

(32) Charlebois N° 2, supra note 30 au para 23.

(33) 2002 CSC 42, [2002] 2 RCS 559.

(34) Ibid au para 62.

(35) Charlebois N° 2, supra note 30 au para 24.

(36) Loi sur les langues officielles, supra note 3, art 1.

(37) L'article 30 prévoit qu'il « incombe à la province et à ses institutions de veiller à ce que les services offerts au public par des tiers pour le compte de la province ou ses institutions le soient dans l'une et l'autre des langues officielles ».

(38) Notons qu'il ne devrait y avoir aucun doute quant au fait que les droits linguistiques sont des droits fondamentaux. Voir notamment à ce sujet R c Mercure, [1988] 1 RCS 234.

(39) Voir Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick c Association of Parents for Fairness in Education, [1986] 2 RCS 768; MacDonald c Ville de Montréal, [1986] 1 RCS 460; et Bilodeau c P G (Man), [1986] 1 RCS 449.

(40) Loi sur le Barreau, supra note 4, Partie III et voir également art 31 :
Formation juridique permanente
31(1) Pour rester membres du Barreau, les membres praticiens et non-praticiens sont tenus de suivre les programmes obligatoires de formation juridique permanente prévus par les règles
31(2) Les membres non-praticiens qui ne se conforment pas aux exigences du paragraphe (1) seront tenus de remplir les autres conditions prévues par les règles avant de pouvoir devenir membres praticiens.
31(3) La personne qui n'a pas été membre praticien ou non-praticien pendant au moins trois des cinq dernières années peut être astreinte aux conditions supplémentaires prévues par les règles avant de pouvoir devenir membre praticien.

(41) Loi sur le Barreau, supra note 4, al 6f).

(42) AJEFNB, Rapport du Président (2010-2011), en ligne : www.ajefnb.nb.ca/DATAUPLOAD1/docs/pdf/Rapport-president-2011.pdf.

(43) Loi sur le Barreau, supra note 4, Partie 10.

(44) Ibid, art 43.

(45) Ibid, art 44.

(46) Ibid, art 66.

(47) Supra note 3, art 1.

(48) Ibid, art 16.

(49) Ibid, art 17.

(50) Loi sur le Barreau, supra note 4, art 40.

(51) Loi sur les langues officielles, supra note 3, art 18.

(52) Ibid, art 19.
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  • Catégorie : Justice



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Modification : 2012-06-10